Matrix

Joshua Clover


C’était hier, au printemps 1999. Matrix était sorti depuis quelques semaines aux États-Unis et s’apprêtait à débarquer en Europe, précédé d’une réputation explosive et mélangée. Le film avait créé la surprise outre-Atlantique en cassant la baraque au box-office et en remplissant miraculeusement les coffres de la Warner qui n’avait pas démontré une confiance aveugle dans ce projet, ce qui formait un argument en soi. Mais il était aussi accompagné d’une mythologie déjà déroutante, dont la presse américaine, qui n’avait que rarement semblé aussi divisée, émettait le témoignage contradictoire. Pour certains médias, Matrix était le cyber-évangile que l’époque attendait, son miroir générationnel, la borne prophétique de l’âge digital. Pour d’autres, c’était un emblème du décervelage globalisé, la proue nihiliste d’un vaisseau-monde devenu fantôme, inhumain et désensibilisé. Pour beaucoup, néanmoins, Matrix était incompréhensible.

Extrait de la préface de Olivier Séguret